Beloved (Toni Morrison)

« Soixante millions et davantage » voilà comment Toni Morrison lance ce récit étrange autour d’une maison hantée. Travailleur errant, Paul D. retrouve ici la belle Sethe, esclave noire qui est parvenue à échapper à ses maîtres avant la guerre de Sécession et sa fille Denver, dernières habitantes du numéro 124. Paul pense pouvoir chasser le fantôme pour de bon sauf qu’une jeune femme, qui dit s’appeler Beloved, vient brouiller leurs repères. Car qu’est-ce qu’un fantôme, sinon le reflet fragmenté de son propre passé ?

Un livre appartient sans doute à un moment, et il m’aura fallu plusieurs années pour reprendre ce texte qui m’était tombé des mains lors d’une première tentative. Peut-être n’y avais-je pas trouvé ce que je pensais lire. Mais n’est-ce pas comme toute rencontre, y mettre trop d’intention peut ruiner cette relation ?

Puis le moment vint et là, ce roman devint lumineux. Profond. D’une sensibilité rare, sans effet de manche, Toni Morrison soulève le coin du voile de l’existence. Par touches discrètes, elle révèle les fils cachés des remords et des élans du coeur de ses personnages tourmentées.

Le présent mêlé au passé de façon astucieuse permet d’avancer dans l’intrigue tirée d’un fait réel. La narration qui semble totalement déconstruite est en fait le résultat d’une machine de précision. Bavard ? c’est sans doute le risque que court ce livre mais c’est totalement cohérent avec le fil des pensées qui sont des paroles sans fin.

Dénonciation de l’esclavage, dénonciation des petites gens et des mesquins, Beloved ne fait pas à l’inverse un éloge des grands idéaux. L’auteur est trop subtile pour tomber dans le manichéisme. La vie est trop complexe. Elle s’intéresse plutôt à ces moments fugaces, tels que les boites de métal qui enferment les coeurs peuvent enfin s’ouvrir.

Je vous souhaite de trouver ce moment pour découvrir Beloved.

Thomas Sandorf

Très intéressante présentation par JPDepotte

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