Le Testament Français (Andreï Makine)

De longues années, le Testament Français trainait dans ma bibliothèque comme un objet mort et n’avait jamais été ouvert. Il me paraissait comme une vision nostalgique et barbante de la France racontée par une vieille femme perdue en Sibérie. On frisait le livre pour troisième âge, oscillant entre vision bourgeoise et une nostalgie mièvre. Quel dommage d’en être resté à la quatrième de couverture de l’éditeur et à sa présentation restreinte, donc erronée.

Car ce roman est bien différent. Le temps en est le principal protagoniste – le bonheur aussi, quand il est là avec de petites choses et aussi quand il est supplanté par la douleur. Le livre construit comme une spirale dont sa dernière page avec son coup de théâtre final pousse le lecteur fébrile à reprendre la première du roman.

Roman initiatique d’un homme en quête de ses racines, lui qui sait en prenant la plume que les illusions ont autant de poids que la vérité. Récit mis en abime, il est partiellement la transcription des propos d’une femme énigmatique, au milieu des souvenirs personnels de l’auteur. Les mystères de cette femme sont délicatement amenés par l’auteur, écrivain publié à Paris après avoir fui le bloc de l’Est. Ce testament qui est une quête devient aussi enquête. Peut-on vraiment dire qu’on sait tout d’une personne ? Comme la vie, pleine de de nuances et de surprises, il faut se méfier des jugements définitifs. Passant de correspondance à une autre, comme il le fait de son premier amour à celui du président Félix Faure et à celui de Charlotte, l’auteur qui s’exprime à la première personne permet à la vérité de faire surface.

Voilà un texte qui prend son temps, celui qui permet de s’émouvoir de moments simples comme d’un orage mouillant les pages d’une poésie, et se laisse traverser par des fulgurances. Ainsi, alors que ce texte est publié en 1995, Makine décrit à travers le discours d’un oligarque business man converti à la mondialisation l’actualité brûlante de nos tensions contemporaines : « la dégénérescence de l’Occident et la fin toute proche de l’Europe blanche, l’invasion des nouveaux barbares (« nous les Slaves, y compris », avait-il ajouté pour être juste), un nouveau Mahomet « qui brûlera tous leurs Beaubourgs » et un nouveau Gengis Khan « qui mettra fin à leur salamalecs démocratiques ». » La force d’un roman est de parler à plusieurs générations et de rester vivant à travers le temps. Le temps, nous y voilà encore.

La vie chez Makine est différente de la nôtre. Elle est pleine de détails merveilleux et se révèle riche d’odeurs, de sentiments, de couleurs. Avec lui, les mots prennent une densité nouvelle et s’assemblent de façon inattendue et merveilleuse (« je me laissais faire sans quitter cet instant de lumière qui se dilatait en moi. »). Là où il croise la méchanceté de la foule, il répond par la beauté et la compassion pour ceux qui ne peuvent pas voir « ce jour plein de senteurs fraîches des algues, des cris de mouettes, du soleil voilé… ». Voilà qui est curieux. C’est en gardant cette curiosité que l’on peut trouver la beauté de ce livre écrit en français par un auteur dont ce n’est pas la langue maternelle et qui aujourd’hui a rejoint l’Académie Française.

Alors, par pitié, ne vous laissez pas influencer par la quatrième de couverture de l’éditeur. Ce qui se trouve dans ce livre vaut bien mieux.

Thomas Sandorf

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